Flashback.
« Retourne dans ton pays l'arabe ! » « Si tu voles mes billes je te défonce ! » Encore une fois, il se fait frapper. Coups de pied, coups de poing, griffes, et pour finir balancé dans la poubelle tel un vulgaire déchet. Le petit garçon martyrisé pleure en silence, caché derrière un mur pour qu'on ne le voit pas. Il pense à sa mère qui sera en colère de le voir dans cet état, à son père qui risque encore de le frapper à cause de son devoir non rendu au professeur, celui que les autres lui ont déchiré et qui lui a valu un zéro. L'enfant est seul, isolé du restes à cause de ses origines. Il sert tout contre lui son sac à dos couvert de graffitis et essuie ses joues du revers de sa main. En face de lui, une jeune fille est debout, les mains sur les hanches. Dans son regard, ni haine ni pitié. Juste de la compassion. Elle l'aide à se relever et lui parle d'une voix douce. Envoûtante. Avec le temps, il finit par s'attacher à elle, un peu trop. C'est la première fois qu'il se sent aussi bien, qu'il sourit sans raison rien qu'en la regardant. Puis elle disparaît un beau jour, sans laisser de traces. Le garçon est triste, le garçon pleure tard le soir dans son lit, effleurant sa blessure profonde à la joue faite par son père, alcoolique et furieux contre lui à cause de son blouson tâché. L'enfant, c'est Nahel, il y a neuf ans.

Années Lycées.
« Maman. Pour la troisième fois, je change de lycée à cause de Papa qui ne cesse de vouloir déménager. Vas savoir pourquoi. J'en ai marre de lui, si tu savais. Il boit comme il respire, la dernière fois que je l'ai vu sobre remonte à la semaine dernière. Dès mon premier jour de cours durant l'appel, un professeur m'a nommé Luis Martinez. Depuis tout le monde pense que c'est mon nom et en oublient les origines arabes de mon père. J'en suis plutôt ravi, ça me rappelle que j'ai un peu de toi, même si cela se limite à notre nom de famille et au prénom de grand-père. En fait, je me sens plutôt bien dans ce troisième lycée. Les gens sont sympas et la nourriture de la cafétéria n'est pas si mauvaise que tu me le disais. Tu me manques, j'ai envie de pouvoir te voir, te tenir la main durant cette mauvaise passe. Dès que tu ne seras plus malade et que tu rentreras à la maison, on se fera un ciné. Bisous ! »

« Maman. Toi qui passe tes journées couchée dans un lit d'hôpital à l'autre bout du pays sans rien faire, tu pourrais au moins prendre la peine de me répondre ! Je plaisante bien sûr. Voilà cinq mois que je suis toujours dans le même lycée, et le quitter me ferait de la peine. J'ai mes repères et je bosse dur pour une fois, tu serais fière de moi. Excuse-moi par contre de ne pas avoir tenu ma promesse. Tu te souviens, quand avant de nous quitter pour te faire soigner tu m'as demandé d'être sage ? Enfin tu vois, le genre de vendredi soir entre adolescents de seize ans. Hier soir, Papa est rentré à deux heures du matin. Il a recommencé à me frapper sans raison. Enfin si, il disait que tout était ma faute. Je sais que tu m'as supplié de ne rien dire parce que tu l'aime mais bon sang maman, ce type est un malade mental. J'essaie de garder la tête haute au lycée mais mes hématomes sur tout mon corps se voient lors des cours de gym et je n'en peux plus de mentir. Reviens vite et ça le calmera sûrement. Bisous ! »

« Maman. Voilà un an que tu es partie. Durant ces sept derniers mois, je pense tous les jours à toi. J'ai aussi beaucoup joué avec la guitare que je me suis achetée avec mes économies. Je m'améliore vite et pour la première fois, Papa a dit qu'il était fier de moi. Il va un peu mieux je crois, il boit moins et est beaucoup moins violent. Au fait, je dois t'avouer quelque chose Maman. Je sors avec une fille. Je pense que tu l'aimerais beaucoup. Dès que tu seras rentrée, j'aimerais que tu la rencontres et que tu me dises ce que tu penses d'elle, même si je sûr que ce sera positif. Je voudrais aussi qu'on parle de mon avenir. Ca ne te plaira peut-être pas, mais je veux vivre de ma musique. Avec quelques petits boulots à coté bien sûr, mais les études de droits ne seront pas pour moi. Désolé si je te déçois, j'aurais voulu que tu sois fière comme Papa l'est. Tu verras, je te rapporterai plein d'argent et ce jour-là, tu me remercieras. Bisous ! »

« Maman. Je sais à présent pourquoi tu ne me répondais pas. Non pas parce que tu avais oublié l'adresse, ou encore que tu n'avais plus d'encre. Mais parce que tu étais déjà morte, et que mes lettres n'arrivaient jamais à toi vu que, de là où tu es, il n'y a pas de facteur. J'ai eu du mal à t'envoyer cette ultime lettre qui ira je ne sais où, mais là voilà après neuf mois de retard. Je crois que tu serais contente de savoir que j'ai réussi mes examens. C'est fini avec ma copine, tout simplement parce que je ne compte pas rester plus longtemps avec Papa. Je veux déménager, partir vivre seul dans un petit appartement loin de lui. Cette lettre ne sera pas la plus belle que je t'aie envoyée, elle est pleine de ronds humides et d'encre effacée, si tu vois ce que je veux dire. Je voudrais te demander de revenir, mais je pense que tu es mieux là où tu es. Après ma dernière année, je viens te chercher et on part à Hawaii, ça te dit ? Je suis certain que tu regrettes de ne plus être là du coup. Bisous, je t'aime, je t'aimais et je t'aimerai au delà de la mort. Nahel »